|||| |||| : Une Manipulation

— Une manipulation ? Et pourquoi pas parler de complot, tant que tu y es ? Hey, tu en meurs d’envie ! Tu ne crois pas à la Verte ? Comme c’est intéressant. Plusieurs centaines de personnes seraient actuellement entre ses lianes, mais Zû est bien au-dessus de ces contingences, elle a tout vu et tout compris, pas comme les idiots actuellement torturés sans espoir que leurs souffrances prennent fin – hey mais attends, tu es peut-être aussi de ceux qui racontent que tout ce petit monde se porte à merveille et reste caché pour le plaisir de la farce ?

— Arrête. Ce n’est pas ce que j’ai dit.

— Mais c’est exactement ce que tu voulais dire. Je te croyais plus intelligente que ça.

— Oh, ça suffit, le samaritain ! Ce n’est pas non plus comme si rien ne pouvait jamais être remis en question, comme si nous avions pris toutes les meilleures décisions possibles ! Rappelle-moi où vous en êtes de ce qui devrait être votre priorité ? Comment se porte l’UNIVERS que nous n’aurions jamais dû ni quitter ni détruire ?

— Il se porte que NOUS faisons des pieds et des mains pour permettre VOTRE survie dans des conditions tolérables. Si ça te pose problème, tu peux toujours te faire radier des listes de sustentation et offrir tes atomes au recyclage.

— Et bien sûr, dès qu’on remet la moindre chose en question, on entend les menaces de mort arriver. Si vous saviez à quel point vous me dégoûtez ! Et toi aussi, Valer ! Pourquoi on ne t’entend pas depuis tout à l’heure ?

— Je suis trop occupé à regretter de ne pas avoir apporté de pop-corn.

Je connaissais ce regard vide, la façon dont il perdait tout focus, dont il se fermait petit à petit. Les filles ne paraissaient pas s’endormir ; on ne voyait qu’un temps de vague, de déséquilibre muet, jusqu’à ce que celle aux commandes soit remplacée par une plus apte au service. La mollesse qui allait avec la fit tomber de son siège. Vesy se leva spontanément pour la rattraper et la laisser descendre jusqu’au sol, appuyée contre son corps. Je ne m’en surpris qu’à peine.

— Vous êtes de vieilles relations, pas vrai ?

Le samaritain opina, son expression passant de la combativité à la fatigue.

— J’ai rencontré Bhdra dans notre centre de formation en biotechnologie. À l’époque, je ne savais pas pour les autres, évidemment. Je suis vite parti mais nous sommes restés en contact. Et quand j’ai découvert Zû… Elle me rappelle un peu moi. Avant d’entrer au service de la Méta, je veux dire. Ça m’a remis du plomb dans la tête.

— Minute, on se connaît ? Parce que j’ai fréquenté le même centre que Bhdra.

— Ah ? Vous ne m’aurez pas marqué.

— Vous non plus. Je note tout de même deux points communs : nos amies et une aversion commune pour triturer le vivant.

Le rictus de Vesy était timide sur les fossettes. Je m’aperçus que vu la façon dont il traitait les animaux contractants je n’avais peut-être pas envie de lui arracher un sourire. La tête des filles toujours sur ses genoux, il caressait leurs cheveux épais. C’était à peine dérangeant. Il soupira.

— Elle n’a pas tort, vous savez. Nous ne prenons pas forcément les bonnes décisions. Ce n’est pas facile. La Dame nous empêche certaines fautes, mais ne nous dit pas tout…

Il s’interrompit.

— Enfin, ce sont des affaires internes de la Méta, je ne voudrais pas vous ennuyer avec ça.

Plein de défauts, mais bavard. Je suis enquêteur. J’adore les bavards. J’encourage les bavards :

— Vous avez l’air à bout. Si je peux vous aider à vider votre sac, ne vous gênez pas pour moi.

Il secoua la tête de gauche à droite. J’avais essayé.

— Vous êtes enquêteur, je suis samaritain : je peux vous taire ce que je veux sans risquer de me faire casser la figure et je ne vois pas pourquoi je m’en priverais.

— C’est vraiment une affaire interne ?

— Oui… Non.

— Des commérages dans le milieu ? Pas un dossier officiel en tout cas. Vous savez, la plupart des gens surestiment la dangerosité de leurs paroles. Je ne crois pas que vous trempiez dans quoi que ce soit de scandaleux. J’ai seulement l’impression que vous êtes fatigué, et que vous ne vous sentez d’en parler ni à un collègue, ni à une amie. Je suis un inconnu. Vous n’avez rien à perdre.

Vesy fixa le plancher, vida son verre de myorelaxant, et cracha le morceau.



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