Il n’y a aucune raison de regarder sous ses chaussures.
J’ai appris l’histoire de mon métier. Je sais que dans l’Univers d’origine, le dépôt sous les semelles de quelqu’un en apprenait beaucoup sur son trajet, parce que les planètes étaient couvertes de matériaux naturels et artificiels poudreux qui pouvaient s’agglutiner sous l’effet de l’humidité, et leur mélange était si particulier, si étrange qu’un échantillon de boue révélait tout et n’importe quoi.
Le sol du Mille-feuilles, c’est soit du sable, soit du verre, tous les deux secs. Même composition partout. Il n’y a rien à en tirer.
Mais moi, sous mon pied, j’avais autre chose. Comme cinq lèvres roses ouvertes sur la bouche vide d’un rongeur muté. Zû le contemplait aussi, les yeux écarquillés.
Elle et moi avons compris à peu près en même temps ce que c’était.
Une fleur.
Plus précisément, cinq pétales de saxifrage.
__ … __
D’abord, on a hurlé comme si la Verte venait de nous retrouver. J’ai arrêté quand je n’ai plus eu de souffle. La môme a enchaîné sur une crise de spasmes. Elle a approché sa main, l’a rétractée, a refait ce manège à plusieurs reprises tandis que je me tâtais de téléporter ma chaussure sur une plage très loin de nous.
Nous nous calmâmes devant l’évidence que l’intruse était inerte et qu’elle n’essaierait pas de nous attaquer. Discrète comme savent le rester les animaux contractants, la loutre des filles nous jetait toutefois un regard qui en disait long sur l’air que nous nous étions donné.
Zû recueillit la fleur dans un sachet à échantillons qu’Omi avait embarqué dans ses affaires. Nous restâmes à la regarder à travers le plastique.
De toute la force de ma raison, je me moque de la Fin du Monde et je conspue ceux qui se vautrent dans son évocation. Mais je suis de la deuxième génération : mes deux parents ont connu la vie avant les plages et m’en ont légué, gravée à l’eau-forte dans mon cerveau, la Honte. Face à la saxifrage, je me la prenais direct dans la tripaille.
— Elle est morte.
Zû retrouvait son impavidité coutumière. Elle poursuivit :
— Elle a perdu sa place quand nous avons détruit l’Univers. Elle n’a plus nulle part où survivre.
D’abord, la Honte parla par ma bouche :
— Il doit y avoir moyen de la cloner. Bhdra saurait sûrement faire ça ? Avec tout son matériel de biotechnologie ?
Puis, l’enquêteur que je suis reprit ses droits :
— Minute. Que fout une espèce disparue sous ma chaussure ?
__ !!! __
J’eus un rien de flottement. Zû me dévisagea avec curiosité. Quand je lui demandai ce que je venais de dire, elle me le répéta gentiment. La méduse gomma encore le souvenir immédiat.
— Bon, je suis incapable de le retenir : je crois qu’on tient une piste.
__ Quoi ? Ah mais non. C’est beaucoup trop rapide comme déduction. Peut-être que je vous induis en erreur. Je pourrais tout à fait faire ça. __
La môme eut la courtoisie de noter l’événement dans le journal de bord de ses personnalités. Un peu étrange pour elle, mais je suppose que la Honte la travaillait aussi. Pour une fois que je parvenais à lui trouver un centre d’intérêt constructif, je tentai de m’en faire une alliée.
— Si Bhdra peut la cloner, de quoi aura besoin sa fille pour survivre ? De terre ? D’eau ? Un truc comme ça ?
Zû réfléchit, étudia le spécimen.
— Ça dépend de ce qu’elle est exactement. C’est moins la terre qui compte que les nutriments qu’elle puisera dedans, on sait que certaines plantes étaient assez robustes pour pousser sur de la roche. On devra aussi lui procurer de l’eau pour qu’elle fasse ses fluides. Il me semble que là où le verre n’est pas devenu du sable il émet le bon type de lumière pour qu’elle consomme du dioxyde de carbone et pas de l’oxygène, mais je n’en suis pas certaine : dans tous les cas, elle aura besoin de la présence d’un humain ou d’un animal sous contrat pour respirer.
La môme sourit, la lèvre inférieure tremblante.
— On peut le faire. On peut la faire vivre. J’ai un pote à la Méta qui nous arrangera le coup pour les nutriments. Ça ne te dérange pas si on y va tout de suite ?
Je n’avais certainement pas d’objection. Nous appelâmes les samaritains.
J’ai appris l’histoire de mon métier. Je sais que dans l’Univers d’origine, le dépôt sous les semelles de quelqu’un en apprenait beaucoup sur son trajet, parce que les planètes étaient couvertes de matériaux naturels et artificiels poudreux qui pouvaient s’agglutiner sous l’effet de l’humidité, et leur mélange était si particulier, si étrange qu’un échantillon de boue révélait tout et n’importe quoi.
Le sol du Mille-feuilles, c’est soit du sable, soit du verre, tous les deux secs. Même composition partout. Il n’y a rien à en tirer.
Mais moi, sous mon pied, j’avais autre chose. Comme cinq lèvres roses ouvertes sur la bouche vide d’un rongeur muté. Zû le contemplait aussi, les yeux écarquillés.
Elle et moi avons compris à peu près en même temps ce que c’était.
Une fleur.
Plus précisément, cinq pétales de saxifrage.
__ … __
D’abord, on a hurlé comme si la Verte venait de nous retrouver. J’ai arrêté quand je n’ai plus eu de souffle. La môme a enchaîné sur une crise de spasmes. Elle a approché sa main, l’a rétractée, a refait ce manège à plusieurs reprises tandis que je me tâtais de téléporter ma chaussure sur une plage très loin de nous.
Nous nous calmâmes devant l’évidence que l’intruse était inerte et qu’elle n’essaierait pas de nous attaquer. Discrète comme savent le rester les animaux contractants, la loutre des filles nous jetait toutefois un regard qui en disait long sur l’air que nous nous étions donné.
Zû recueillit la fleur dans un sachet à échantillons qu’Omi avait embarqué dans ses affaires. Nous restâmes à la regarder à travers le plastique.
De toute la force de ma raison, je me moque de la Fin du Monde et je conspue ceux qui se vautrent dans son évocation. Mais je suis de la deuxième génération : mes deux parents ont connu la vie avant les plages et m’en ont légué, gravée à l’eau-forte dans mon cerveau, la Honte. Face à la saxifrage, je me la prenais direct dans la tripaille.
— Elle est morte.
Zû retrouvait son impavidité coutumière. Elle poursuivit :
— Elle a perdu sa place quand nous avons détruit l’Univers. Elle n’a plus nulle part où survivre.
D’abord, la Honte parla par ma bouche :
— Il doit y avoir moyen de la cloner. Bhdra saurait sûrement faire ça ? Avec tout son matériel de biotechnologie ?
Puis, l’enquêteur que je suis reprit ses droits :
— Minute. Que fout une espèce disparue sous ma chaussure ?
__ !!! __
J’eus un rien de flottement. Zû me dévisagea avec curiosité. Quand je lui demandai ce que je venais de dire, elle me le répéta gentiment. La méduse gomma encore le souvenir immédiat.
— Bon, je suis incapable de le retenir : je crois qu’on tient une piste.
__ Quoi ? Ah mais non. C’est beaucoup trop rapide comme déduction. Peut-être que je vous induis en erreur. Je pourrais tout à fait faire ça. __
La môme eut la courtoisie de noter l’événement dans le journal de bord de ses personnalités. Un peu étrange pour elle, mais je suppose que la Honte la travaillait aussi. Pour une fois que je parvenais à lui trouver un centre d’intérêt constructif, je tentai de m’en faire une alliée.
— Si Bhdra peut la cloner, de quoi aura besoin sa fille pour survivre ? De terre ? D’eau ? Un truc comme ça ?
Zû réfléchit, étudia le spécimen.
— Ça dépend de ce qu’elle est exactement. C’est moins la terre qui compte que les nutriments qu’elle puisera dedans, on sait que certaines plantes étaient assez robustes pour pousser sur de la roche. On devra aussi lui procurer de l’eau pour qu’elle fasse ses fluides. Il me semble que là où le verre n’est pas devenu du sable il émet le bon type de lumière pour qu’elle consomme du dioxyde de carbone et pas de l’oxygène, mais je n’en suis pas certaine : dans tous les cas, elle aura besoin de la présence d’un humain ou d’un animal sous contrat pour respirer.
La môme sourit, la lèvre inférieure tremblante.
— On peut le faire. On peut la faire vivre. J’ai un pote à la Méta qui nous arrangera le coup pour les nutriments. Ça ne te dérange pas si on y va tout de suite ?
Je n’avais certainement pas d’objection. Nous appelâmes les samaritains.