La vie n’est pas dure. Surtout depuis l’abolition de la mort. Néanmoins il y aura toujours des situations dont il est long et désagréable de guérir – ce qui tuait autrefois, par exemple.
Après avoir neutralisé Kib la loutre nous détacha, sa maîtresse et moi, nous laissant libres de continuer mon enquête. Nous ne nous y remîmes pas tout de suite parce que Bhdra avait perdu le contrôle au profit de Zû.
La vie n’est pas dure mais il y a des gens qui détestent vivre. La sorte d’illuminés qui font pression sur la Méta pour pouvoir en finir avec l’existence.
Drôle d’idée. Eh, c’est simple : il suffit de se balader de plage en plage, changer d’angle histoire de voir, se poser sur un numéro. Limiter les interactions sociales pour s’épargner la fréquentation de la masse grouillante, sauf les enquêteurs, les enquêteurs sont des gens bien. Faire quelques enfants pour marquer une relation un peu sympa, échapper à ses parents. Gagner du Service, le claquer en biotech de confort, parce qu’on reste humain et que les plages ne subviennent qu’aux besoins primaires.
Je veux bien que ça ait été dur pour nos ancêtres, qui se sont retrouvés plongés du jour au lendemain dans ce qui devait leur évoquer le purgatoire. Un sol de verre infini sous un ciel d’encre, et rien à faire pendant un temps incommensurable sinon parler et errer jusqu’à ce que le verre devienne sable.
Mais rien ne justifie l’attitude de Zû et des autres ahuris de son école de pensée. Ces mômes attardés exigent que la Méta se concentre sur la réparation de Ce Qui Ne Peut Être Réparé au détriment de tout le reste. Zû refuse de travailler, de procréer, ou de s’offrir un peu plus que le soutien de son métabolisme par la plage où elle se trouve. Elle resterait allongée tout le nycthémère, sans ses deux colocataires.
Et, quittant la demeure de Kib dont l’hospitalité ne nous servait plus à rien, je désespérais de l’inertie de la môme, que je ne détestais pas d’habitude, mais qui pour le coup pulvérisait les limites de ma patience.
__ Si elle veut mourir, pourquoi ne s’en charge-t-elle pas elle-même ? __
Il se trouvait que la Méta ne distribuait les autorisations qu’au compte-goutte et après une sérieuse évaluation psy. De plus, Zû comprenait qu’elle n’était pas la seule à avoir son mot à dire sur sa vie.
Je pris une grande inspiration.
— Zû, ma puce. Que dirais-tu de m’accompagner à une rediffusion de la Fin du Monde ?
De mon époque branchouillard du culturel, j’avais gardé des adresses et dates de manifestations un peu partout. Une arme redoutable contre elle en particulier.
— Où ça ? Quelle plage, quel angle ?
— Bouton-de-rose, antique.
Avec une coordonnée pareille, il risquait de s’agir d’une rediffusion à laquelle elle avait déjà assisté, mais Zû n’y aurait pas vu un problème : elle en aurait profité pour saluer son passé. Saluer son passé est une délicate attention, dans le sens où l’on aime être abordé par son futur. Quand un futur aborde son passé, ledit passé peut être sûr qu’il ne sera pas avalé par la Verte tout de suite : la Dame ne laisse aucun paradoxe advenir.
Zû changea de plage et disparut sous mes yeux, parce que la vue humaine n’a pas évolué pour faire face aux sept dimensions du Mille-feuilles. Je pris sous mon bras sa loutre qu’elle avait oubliée sur place et avançai dans la couleur le regard tourné vers le ciel. Il est toujours plus simple de voyager si on occulte le paysage.
Je passai de terre-de-sienne à bouton-de-rose sans problème, juste à temps pour rattraper Zû. J’étais toujours surpris du changement dans ces cas-là : elle s’excitait dans des proportions sismiques à la vue de l’écran géant non loin, au numéro daim.
— Attention à toi, on est dans le passé lointain.
— M’en fiche !
C’était tout de même dommage pour la qualité de la projection. L’image se distord méchamment dans ces angles, et je ne parle pas du son.
Nous ne croisâmes personne de notre connaissance, mais les gens nous reconnurent comme d’un futur lointain : certains grimacèrent. Difficile, à leur époque, de se faire à l’idée que la vie perdurerait dans les plages si longtemps.
La rediffusion commença.
Après avoir neutralisé Kib la loutre nous détacha, sa maîtresse et moi, nous laissant libres de continuer mon enquête. Nous ne nous y remîmes pas tout de suite parce que Bhdra avait perdu le contrôle au profit de Zû.
La vie n’est pas dure mais il y a des gens qui détestent vivre. La sorte d’illuminés qui font pression sur la Méta pour pouvoir en finir avec l’existence.
Drôle d’idée. Eh, c’est simple : il suffit de se balader de plage en plage, changer d’angle histoire de voir, se poser sur un numéro. Limiter les interactions sociales pour s’épargner la fréquentation de la masse grouillante, sauf les enquêteurs, les enquêteurs sont des gens bien. Faire quelques enfants pour marquer une relation un peu sympa, échapper à ses parents. Gagner du Service, le claquer en biotech de confort, parce qu’on reste humain et que les plages ne subviennent qu’aux besoins primaires.
Je veux bien que ça ait été dur pour nos ancêtres, qui se sont retrouvés plongés du jour au lendemain dans ce qui devait leur évoquer le purgatoire. Un sol de verre infini sous un ciel d’encre, et rien à faire pendant un temps incommensurable sinon parler et errer jusqu’à ce que le verre devienne sable.
Mais rien ne justifie l’attitude de Zû et des autres ahuris de son école de pensée. Ces mômes attardés exigent que la Méta se concentre sur la réparation de Ce Qui Ne Peut Être Réparé au détriment de tout le reste. Zû refuse de travailler, de procréer, ou de s’offrir un peu plus que le soutien de son métabolisme par la plage où elle se trouve. Elle resterait allongée tout le nycthémère, sans ses deux colocataires.
Et, quittant la demeure de Kib dont l’hospitalité ne nous servait plus à rien, je désespérais de l’inertie de la môme, que je ne détestais pas d’habitude, mais qui pour le coup pulvérisait les limites de ma patience.
__ Si elle veut mourir, pourquoi ne s’en charge-t-elle pas elle-même ? __
Il se trouvait que la Méta ne distribuait les autorisations qu’au compte-goutte et après une sérieuse évaluation psy. De plus, Zû comprenait qu’elle n’était pas la seule à avoir son mot à dire sur sa vie.
Je pris une grande inspiration.
— Zû, ma puce. Que dirais-tu de m’accompagner à une rediffusion de la Fin du Monde ?
De mon époque branchouillard du culturel, j’avais gardé des adresses et dates de manifestations un peu partout. Une arme redoutable contre elle en particulier.
— Où ça ? Quelle plage, quel angle ?
— Bouton-de-rose, antique.
Avec une coordonnée pareille, il risquait de s’agir d’une rediffusion à laquelle elle avait déjà assisté, mais Zû n’y aurait pas vu un problème : elle en aurait profité pour saluer son passé. Saluer son passé est une délicate attention, dans le sens où l’on aime être abordé par son futur. Quand un futur aborde son passé, ledit passé peut être sûr qu’il ne sera pas avalé par la Verte tout de suite : la Dame ne laisse aucun paradoxe advenir.
Zû changea de plage et disparut sous mes yeux, parce que la vue humaine n’a pas évolué pour faire face aux sept dimensions du Mille-feuilles. Je pris sous mon bras sa loutre qu’elle avait oubliée sur place et avançai dans la couleur le regard tourné vers le ciel. Il est toujours plus simple de voyager si on occulte le paysage.
Je passai de terre-de-sienne à bouton-de-rose sans problème, juste à temps pour rattraper Zû. J’étais toujours surpris du changement dans ces cas-là : elle s’excitait dans des proportions sismiques à la vue de l’écran géant non loin, au numéro daim.
— Attention à toi, on est dans le passé lointain.
— M’en fiche !
C’était tout de même dommage pour la qualité de la projection. L’image se distord méchamment dans ces angles, et je ne parle pas du son.
Nous ne croisâmes personne de notre connaissance, mais les gens nous reconnurent comme d’un futur lointain : certains grimacèrent. Difficile, à leur époque, de se faire à l’idée que la vie perdurerait dans les plages si longtemps.
La rediffusion commença.