Oh non, pas elle. Une intervention de Bhdra, c’est le scénario catastrophe de mes enquêtes avec Omi : de manière inopinée, je vois débarquer une cueilleuse de pâquerettes qui minaude des imbécillités comme « peut-être que ce type ne sait vraiment pas de quoi tu lui parles » ou « je ne crois pas que cette histoire vaille la peine de se rendre malade » ou encore « mais enfin, s’il y avait un complot, on le saurait ».
Sauf que non : sans nous autres enquêteurs, on n’en saurait rien. Un monde sans enquêteurs en est un où personne n’est jamais au courant des scandales qui rampent parce que personne n’éclate le nez des petits cachottiers contre leur bureau pour leur apprendre la transparence de l’information.
Rien que d’y penser, j’en frissonne. La joie, sans doute.
__ Je n’ai toujours pas décidé quelle part de votre esprit nauséabond je hais le plus, mais je tiens une candidate prometteuse. __
Échanger Bhdra contre Omi, c’est perdre un atout et gagner une plante. Je savais que je ne pouvais pas toujours retenir celle des filles qui m’arrangeait, mais ça m’ennuyait quand même ; je préférais me servir de ma collègue comme correspondante et conseillère et ne pas risquer de l’amener au terrain. Je voyais déjà venir la suite de la conversation : Bhdra allait réclamer de retourner chez elle, les gens qui nous suivaient probablement lui mettraient la main au collet et j’aurais un chantage inutile à gérer. J’étais sur le point de les lui mettre sur les I quand Kib m’interrompit :
— Bhdra Malonghi, ça alors, ça fait un temps ! Tu prendras bien un myorelaxant avec nous ?
— Non, je dois y aller…
— Quoi ? T’es pas bien, là ? Tu veux pas de mon hospitalité ? Tu insultes mon chat, mon savoir-vivre et mon myorelaxant ?
Tétanisée, cette mauviette de Bhdra resta plantée sur place. Je me plaignis que servir à boire à des gens louches était contraire aux règles de sûreté de base, mais je fus ignoré.
Kib improvisa le reste de la conversation, parce que j’étais trop occupé à ruminer et Bhdra à pleurer sa génitrice.
Je compris trop tard qu’iel avait coupé son myorelaxant avec des narcotiques et m’endormis contre Bhdra.
À mon réveil, j’étais attaché au mur, j’avais l’impression qu’on m’avait retourné de l’intérieur, et j’étais fou furieux. Procéder à une fouille au corps, fallait y penser avant, enfin ! J’avais eu vingt fois le temps de moucharder la pièce ou de tuer ses occupants, un peu de sérieux !
Kib me parla à l’oreille, mais je n’y compris rien à travers le sang qui y avait suinté.
__ Iel dit qu’iel n’a rien trouvé de compromettant sur vous, alors soit iel est très bête, soit iel va détailler mon cas ensuite. __
Et en plus, la méduse télépathe utilisait des pronoms neutres rien que pour m’énerver. Kib passa devant moi, se rendant enfin audible.
— J’ai pas réussi à retirer ce machin. Je crois que j’ai un peu ripé avec les lames : tu dis si tu as bobo. J’ai mis les bouts de cuir chevelu dans tes poches pour pas que tu les perdes – t’es vraiment pas soigneux avec tes affaires, Valer.
— Bon, ça suffit, détache-moi.
— Non non mon petit scarabée, on a plein de sujets qui fâchent à discuter. Primo : Bhdra, Omi et Zû, aussi fort que tu le veuilles, ça reste une seule fille paumée dans sa tête.
Je vis vert. On ne s’attaque pas à mes copines. Je me débattis ; la glu qui me soudait au mur craqua, mais ne céda pas. J’éclatai :
— Ton discours à deux balles de psy sans diplôme tu vas me le ranger dans ton tiroir à musc épicé, de base, pis tu vas me détacher parce que si je me détache tout seul je vais me fâcher et cogner sans relever les empreintes dentaires, et enfin tu vas demander pardon aux filles pour ta mentalité moisie ! Tu m’as entendu ?
Kib s’assit à mes pieds et croisa ses bras. J’attendis sa réponse, qui ne vint pas, et m’énervai :
— Alors ?
— Il y a un secundo. J’étais censæ te retirer ta méduse tant que ta mémoire est encore en vrac et te laisser en plan, mais comme je n’y arrive pas nous allons patienter gentiment que mes commanditaires me disent quoi faire de vous.
— Quoi.
— Oh, tu as très bien compris ce qui se passe, Valer. Tu as refusé de recevoir le message.
Mon instinct me glissait depuis un certain temps que Kib se fatiguait d’être enquêteurice de compétence discutable, et qu’iel allait finir par proposer ses services de protection contre ses semblables au plus offrant. J’eusse gagné à faire davantage confiance à mon instinct et à prêter moins de crédit aux gens qui m’accusent de paranoïa.
— Oh, et tertio : ton insistance à imposer ta soi-disant masculinité est fatigante et ton attachement à des constructions sociales dépassées me désespère.
Faute de briser mes liens, je réunis un peu de salive qui rata son visage de peu. Kib continua de me regarder avec un air désolé.
Iel se concentrait si bien sur mon humiliation qu’iel ne vit pas venir l’attaque de la loutre qui lui brisa la nuque.
Alors que c’est une règle d’or, bon sang : quand on drogue quelqu’un, on se débarrasse de ses animaux contractants.
Sauf que non : sans nous autres enquêteurs, on n’en saurait rien. Un monde sans enquêteurs en est un où personne n’est jamais au courant des scandales qui rampent parce que personne n’éclate le nez des petits cachottiers contre leur bureau pour leur apprendre la transparence de l’information.
Rien que d’y penser, j’en frissonne. La joie, sans doute.
__ Je n’ai toujours pas décidé quelle part de votre esprit nauséabond je hais le plus, mais je tiens une candidate prometteuse. __
Échanger Bhdra contre Omi, c’est perdre un atout et gagner une plante. Je savais que je ne pouvais pas toujours retenir celle des filles qui m’arrangeait, mais ça m’ennuyait quand même ; je préférais me servir de ma collègue comme correspondante et conseillère et ne pas risquer de l’amener au terrain. Je voyais déjà venir la suite de la conversation : Bhdra allait réclamer de retourner chez elle, les gens qui nous suivaient probablement lui mettraient la main au collet et j’aurais un chantage inutile à gérer. J’étais sur le point de les lui mettre sur les I quand Kib m’interrompit :
— Bhdra Malonghi, ça alors, ça fait un temps ! Tu prendras bien un myorelaxant avec nous ?
— Non, je dois y aller…
— Quoi ? T’es pas bien, là ? Tu veux pas de mon hospitalité ? Tu insultes mon chat, mon savoir-vivre et mon myorelaxant ?
Tétanisée, cette mauviette de Bhdra resta plantée sur place. Je me plaignis que servir à boire à des gens louches était contraire aux règles de sûreté de base, mais je fus ignoré.
Kib improvisa le reste de la conversation, parce que j’étais trop occupé à ruminer et Bhdra à pleurer sa génitrice.
Je compris trop tard qu’iel avait coupé son myorelaxant avec des narcotiques et m’endormis contre Bhdra.
À mon réveil, j’étais attaché au mur, j’avais l’impression qu’on m’avait retourné de l’intérieur, et j’étais fou furieux. Procéder à une fouille au corps, fallait y penser avant, enfin ! J’avais eu vingt fois le temps de moucharder la pièce ou de tuer ses occupants, un peu de sérieux !
Kib me parla à l’oreille, mais je n’y compris rien à travers le sang qui y avait suinté.
__ Iel dit qu’iel n’a rien trouvé de compromettant sur vous, alors soit iel est très bête, soit iel va détailler mon cas ensuite. __
Et en plus, la méduse télépathe utilisait des pronoms neutres rien que pour m’énerver. Kib passa devant moi, se rendant enfin audible.
— J’ai pas réussi à retirer ce machin. Je crois que j’ai un peu ripé avec les lames : tu dis si tu as bobo. J’ai mis les bouts de cuir chevelu dans tes poches pour pas que tu les perdes – t’es vraiment pas soigneux avec tes affaires, Valer.
— Bon, ça suffit, détache-moi.
— Non non mon petit scarabée, on a plein de sujets qui fâchent à discuter. Primo : Bhdra, Omi et Zû, aussi fort que tu le veuilles, ça reste une seule fille paumée dans sa tête.
Je vis vert. On ne s’attaque pas à mes copines. Je me débattis ; la glu qui me soudait au mur craqua, mais ne céda pas. J’éclatai :
— Ton discours à deux balles de psy sans diplôme tu vas me le ranger dans ton tiroir à musc épicé, de base, pis tu vas me détacher parce que si je me détache tout seul je vais me fâcher et cogner sans relever les empreintes dentaires, et enfin tu vas demander pardon aux filles pour ta mentalité moisie ! Tu m’as entendu ?
Kib s’assit à mes pieds et croisa ses bras. J’attendis sa réponse, qui ne vint pas, et m’énervai :
— Alors ?
— Il y a un secundo. J’étais censæ te retirer ta méduse tant que ta mémoire est encore en vrac et te laisser en plan, mais comme je n’y arrive pas nous allons patienter gentiment que mes commanditaires me disent quoi faire de vous.
— Quoi.
— Oh, tu as très bien compris ce qui se passe, Valer. Tu as refusé de recevoir le message.
Mon instinct me glissait depuis un certain temps que Kib se fatiguait d’être enquêteurice de compétence discutable, et qu’iel allait finir par proposer ses services de protection contre ses semblables au plus offrant. J’eusse gagné à faire davantage confiance à mon instinct et à prêter moins de crédit aux gens qui m’accusent de paranoïa.
— Oh, et tertio : ton insistance à imposer ta soi-disant masculinité est fatigante et ton attachement à des constructions sociales dépassées me désespère.
Faute de briser mes liens, je réunis un peu de salive qui rata son visage de peu. Kib continua de me regarder avec un air désolé.
Iel se concentrait si bien sur mon humiliation qu’iel ne vit pas venir l’attaque de la loutre qui lui brisa la nuque.
Alors que c’est une règle d’or, bon sang : quand on drogue quelqu’un, on se débarrasse de ses animaux contractants.