|||| |||| |||| |||| |||| : C'Était La Verte

C’était la Verte.

__ Oh merde oh merde oh merde __

Ses lianes grouillaient autour de la maison. Je lui claquai la porte dessus lorsqu’elle essaya de me happer.

Coup de chance, j’étais en sécurité : tant que la Verte ne me touchait pas et qu’elle ne me voyait pas, elle ne pourrait ni me suivre ni me pister si je me réfugiais dans une autre couleur. Une tige feuillue creva le mur. Par réflexe, je plaquai la méduse contre moi et nous fis passer sur la première plage qui me vint à l’esprit – bisque.

Nous nous retrouvâmes à l’intérieur d’une habitation – ce sont des choses qui se produisent quand on saute directement depuis un numéro d’index qui a de bonnes chances d’être occupé ; les résidents étant absents, nous sortîmes.

__ C’était soudain. __

— Tu ne peux pas parler ?

La méduse porta sa main qui ne me tenait pas sur sa gorge, les traits chamboulés dans une expression confuse.

__ C’est compliqué. La forge corporelle a dépassé ses limites, je ne comprends même pas sur quoi elle s’est basée pour me remodeler. Sur vous, sûrement. Je sais à peu près synchroniser mes membres, mais les cordes vocales pour l’instant c’est trop me demander. __

La moiteur entre sa peau et la mienne me rappelait qu’elle maîtrisait aussi ses anciennes capacités de régulation de mes fonctions corporelles défaillantes. Je vacillai : trop d’étrangeté à intégrer d’un coup. Mon amnésie, la méduse, la trahison de maon maître enquêteurice Kib, les révélations de Vesy sur la combustion de la Trame, la fusion expérimentale de Saxifrage, la prise de conscience qu’Omi était une copie de ma personnalité dans le corps de Bhdra…

La méduse me gratifia de petites tapes sur l’épaule.

__ Allons, allons. __

Oui, allons : allons prévenir Bhdra que sa maison est ravagée, et allons ameuter des exterminateurs de la Verte pour leur transmettre sa position.

Avant que j’aie pu mettre ce plan à exécution, dans mon dos, un bruit d’éboulement. Je me retournai.

La Verte était là de nouveau, écrasant la maison du numéro lama sur son passage, fonçant vers nous.

Fuir ne servait plus à rien. Elle pourrait me suivre dans la couleur et dans les angles, maintenant que je me trouvais à terrain découvert. Elle tenait un humain frais et tout le monde savait qu’elle ne lâchait pas ses proies.

La Verte décocha une myriade de lianes qui saisirent mes bras et ceux de la méduse. Nous parvînmes à garder les doigts entrelacés malgré la tension qu’elle nous opposa. Elle nous avala dans son cœur immense et vert à l’odeur de mort. Quelques rais de lumière filtraient à travers sa ramure.

Je distinguais les corps de ses autres victimes, entièrement noyés dans ses lianes, envahis de radicules. La Méta ne fournit ni air ni eau ni rien à la Verte, elle la laisserait plutôt crever si elle le pouvait ; la Verte survit des humains qu’elle attrape. Du coin de l’œil, je cherchai ma maman.

La masse végétale se bouleversa. Des corps s’approchèrent de nous, leur bouche s’ouvrit, leur chœur débita :

— Je suis la Verte et vous êtes mon repas.

Je me sentais un chouïa terrifié, mais encore plus étonné.

— Vous parlez ? Vous comprenez ce que je dis ?

Ses interprètes involontaires partirent d’un rire synchrone.

— Vous ne nous intéressez pas. Vous êtes une bête immorale. Vous avez tué mon soleil et mon sol. Maintenant, agonisez.

__ Valer, elle vous fait marcher, elle n’est pas __

La Verte nous arracha l’un à l’autre d’un coup, rompant la connexion physique qui me permettait de communiquer avec la méduse.

Devinez quoi ? Je suis reparti en choc systémique. Mais, enserré dans la Verte, ça ne changeait pas grand-chose à ma situation. La méduse tenta de sortir un son de sa gorge, de contrôler son visage pour convoyer un message éloquent, rien n’y fit. La Verte creva ma peau et logea une racine dans mon foie. Ça ne piquait pas autant que le choc systémique alors je n’en fus qu’un peu plus blasé.

Son invasion finit par ouvrir ma veste et en faire tomber l’orbe en verre qui contenait mon petit clone de saxifrage.

Le temps resta suspendu. Une liane ramena le globe à notre hauteur, très près de mon visage. Les corps parasités paraissaient fixés sur les fleurs blanches et les feuilles foncées.

— C’est une plaisanterie ?

Comme la question paraissait attendre une réponse, je lançai :

— Non ? Nous avons essayé de la garder en vie…

— Silence ! Vous croyez-vous dans un conte de fées ? Vous imaginez-vous que je vais voir là une preuve de compassion envers le règne végétal, m’attendrir et vous laisser filer ? Je suis la Verte ! Ma soif est inextinguible et ma punition éternelle !

Je remarquai enfin le choix de langage corporel de ma méduse. Elle hochait la tête de gauche à droite, inlassablement. Non, non à tout ce que racontait la Verte. Mon irritation s’alluma. Vu le nombre d’indices, j’aurais dû comprendre beaucoup plus tôt.

Ce n’était pas la Verte.



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